La sortie d’un nouvel album de Devin Townsend est toujours un événement. Qu’on aime ou pas le travail du bonhomme (très productif depuis ses 19 ans où il avait été découvert sur le premier album chanté de Steve Vai « Sex and Religion »), sa musique ne laisse personne indifférent, tant son style est unique et non plagiable. Paradoxalement, on ne sait jamais à quoi s’attendre, tant sa musique est riche, variée et marquée par de nombreuses influences.
N’est-ce pas la définition du génie ??? Epicloud ne déroge pas à la règle, on ne s’ennuie pas une seconde à l’écoute de ce CD (double avec l’édition limitée et son autre projet nommé « Epiclouder »..). C’est épique, c’est « loud », c’est Epicloud !!! D’entrée, nous sommes happés par ce gospel chargé « Effervescent », repris également dans le 2ème morceau « True North » et le dernier, « Angel », où l’on retrouve la voix délicieuse de Anneke von Giersbergen (ex-The Gathering), déjà omniprésente sur l’album « Addicted ». Mais la chanteuse ne rend pas la musique plus douce et plus pop comme sur ce dernier, elle la rend même un peu plus angoissante, étherique même, car le chant principal est quand même tenu par Devin. On pense à la folie et la déstructuration de l’album « Infinity » et la lourdeur mélodique de son premier album solo « Ocean Machine », puis à la fureur de « Physicist », duquel il reprend « Kingdom », réenregistré pour l’occasion et réhaussé de choeurs magnifiques et d’une production enfin avantageuse pour ce monument – la production de Physicist semblait très brouillon à sa sortie.
L’ovni « Save our now » aurait vraiment pu être un bon single, tant par la facilité des couplets que par l’obsédante mélodie pop mais pas kitch du refrain… Ses délires musicaux rock’n’roll sont bien présents et on se surprend à chanter à tue-tête le refrain entraînant et bluesy de « Lucky Animals »,- Animals, animals, animals, and we’re lucky !!! – rappelant évidemment le pseudo-comédie musical « Bad Devil » d’Infinity, on s’amuse avec ce bon riff de « Liberation ». La voix d’Anneke, moins présente que sur « Addicted » mais tout en finesse et s’occupant des choeurs et des ambiances, saupoudrées ici et là de la chorale gospel (combien sont-ils à chanter ? une centaine ???), amène ce côté pop déjanté qui sied tellement bien à la musique du maître, et on se balade entre oppression, mélodie, sourire et introspection. Deux ballades magnifiques s’imposent comme des pièces magiques très harmonieuses (« Where we belong » et « Divine »), étonnamment sobres avec chant et guitare acoustique) qui présente la facette tendre et douce du chanteur-guitariste, comme un clin d’oeil à sa bipolarité bien connue, cet équilibre toujours fragile mais incontournable entre calme et violence qui régit tous ces albums sous son nom propre (son groupe Strapping Young Lad était exclusivement violent et donc moins passionnant, enfin pour moi…) Nous avons droit à un fulgurant exercice de style avec un court morceau « Lessons » comme un duel complice en guitare acoustique hystérique et piano fou, passionnant mais trop court… La fin de l’album se cherche un peu, quelques longueurs et répétitions se font ressentir dans les refrains (« Grace », More »), comme un essoufflement, un questionnement sur le chemin à prendre, ou une attente pour repartir de plus belle avec « Hold on » et « Angel », comme si les plus beaux moments de Terria et Accelerated Evolution avaient ici fusionné, cloturé par ce choeur organique et envoûté…
Les musiciens pourtant très bons sont éclipsés par le charisme des 2 chanteurs, désolé pour eux, ça joue grave mais comme un accompagnement obligatoire à la musique du canadien.
Finalement, une fois de plus, malgré ces lenteurs et ses chemins de traverse, le paradoxe est là car on aimerait que ça continue ainsi pendant une heure de plus…
Ca continue dans la surprise et la découverte passionnante de cette musique avec le 2ème CD « Epiclouder » pour ceux qui ont eu comme moi l’opportunité d’acheter l’édition limitée…. Et on ne s’ennuie pas non plus, même si la musique est différente, et la production digne des meilleurs demos (Devin ne le cache pas d’ailleurs, il a voulu que cette seconde galette se ressente comme une pièce non pas inachevée, mais restée à l’état de projet….)
Le début est tout doux (« Believe »), à l’instar de son avant-dernier opus « Ghost », très nature, très ambient et « Happy Birthday » renoue avec le chant merveilleux et aérien d’Anneke qui nous prend le cœur (un petit côté « ih ah » d’Addicted dans les mélodies de guitare avec le côté electro en plus). Quietus n’aurait pas dénoté sur l’album « Ki », avec ce chant syncopé, limite nerveux sur fond de rythme stable et récurrent, Anneke est une fois de plus en contrepoint et le chœur orchestral de la fin du morceau semble dissonant, paradoxalement un bonheur pour les oreilles… Va comprendre, Charles….
Devin et le rockabilly des années 50 ? Oui, c’est possible aussi, avec « Heatwave » et sa voix saturée et lointaine, on se croirait dans un p’tit club enfumé des années Eddie Cochrane et Gene Vincent ou Elvis quand, soudain, il nous ramène à la réalité avec un refrain spatial et jazzy (si, si, c’est possible aussi)…. Histoire de ne pas nous endormir sur nos lauriers, « Love tonight » enfonce le clou avec un morceau « normal » pour du Townsend mais calme, très calme avec ce chant soufflé et très mélodieux (comme certains passages de Terria et Synchestra). Rien n’est pareil sur ce bonus CD, on ne s’ennuie pas une seconde, une grosse basse et un chant écorché « The mind wasp » nous rappelle où nous sommes et qui nous sommes en train d’écouter, l’évolution de la chanson est magnifique d’arpèges acoustiques et d’envolées «mellotronesques», se concluant comme une marche, une marche un tantinet martiale… pour nous emmener vers encore un autre univers, « Woah no ! » où là, ça s’énerve, ça sonne thrash, les riffs électriques sont puissants, digne du son de l’album « Accelerated Evolution »
On retrouve donc pour un instant le Devin écorché et fou à lier à triturer ses cordes vocales (incroyable comme cette voix peut tout exprimer sur des registres totalement différents…)
« Love and marriage » est un amusement d’un couple qui tente de me pas s’engueuler, c’est une plaisanterie ce morceau, ou bien ? On dirait presque un mauvais Cure dans la rythmique basique…. Heureusement, Devin revient à ses amours avec « Socialization », qui nous met une baffe en pleine poire avec ces rythmes de batteries effrénés à la Strapping Young Lad, et en même temps ce chant spatial et orchestral qui m’avait déjà décontenancé sur Deconstruction…. Après cette météorite ravageant mon cerveau, on se calme avec une ballade folk mi Dylan mi Floyd (dans le trip « Mother »ou justement « Pigs on the wing » – « Little pig ».
A voir la polyvalence de ses compositions, on pourrait se dire que Devin pourrait nous sortir un de ces jours un album de rap et que ce serait certainement encore passionnant….
Un album génial, presque l’accomplissement ou une synthèse des 4 albums précédents… Déconcertant et passionnant !
Autres albums à écouter : Addicted, Accelerated Evolution, Terria, Infinity, Ocean Machine, Synchestra..