RÉALISÉ PAR KEN LOACH, AVEC : SANDY RATCLIFF, GRACE CAVE, BILL DEAN …
Synopsis : Fin des années 60, Londres, une jeune fille se fait ramener chez elle par un policier. Très perturbée, écrasée par l’autorité parentale, marquée par un avortement forcé, elle plonge peu à peu dans la folie. Ses parents la place dans un asile, où elle est d’abord aidée pas un jeune psychiatre qui lui fait suivre une thérapie de groupe. Alors qu’elle commence à sortir de son mutisme, elle est prise en charge par un autre médecin qui la soigne aux électrochocs.
Deux ans après Kes, Ken Loach réalise Family Life, un film empreint des transformations et des contradictions d’un monde qui est entrain de changer. En effet, réalisé en 1971, Family Life se situe dans une situation sociale en plein bouleversement, la société est entrain de vivre sa révolution sexuelle, la libération de moeurs et des esprits, la jeunesse sort d’un cadre bien défini pour réinventer sa propre société. C’est le temps de Mai 68, du Summer of Love … L’autorité, le système éducatif, les croyances, sont remis en question. Ken Loach fait également référence à l’anti-psychiatrie, mouvement inspiré dans les années 60-70 par Ronald Laing et David Cooper. Cette nouvelles méthode psychiatrique viserait à aborder la maladie du patient non plus seulement comme une pathologie purement médicale mais également comme un un état replacé dans son contexte sociologique. Elle s’oppose à la psychiatrie classique qui traite les symptômes par les médicaments et les électrochocs sans s’intéresser aux causes de la pathologie, qui peuvent être le contexte familial, une situation d’incompréhension, de rejet ou de crise. Suivant le principe d’antipsychiatrie, la schizophrénie est alors considérée comme une « crise microsociale ». C’est donc dans ce contexte de lutte entre les valeurs classiques et l’envie de renouveau poussée par la jeunesse et les intellectuels, que Ken Loach réalise Family Life, son troisième films, deux ans après Kes, qui avait déjà été remarqué par la critique.
Dans son film, Ken Loach part d’un cas isolé pour parler d’une vérité plus large, qui touche l’ensemble de la société, une société en pleine mutation qui oscille entre valeurs du passé et volonté de renouveau. Et c’est justement cette jeunesse, qui au coeur de l’opposition, entre d’un coté l’autorité parentale, les valeurs familiales traditionnelles et de l’autre côté cette volonté de sortir d’un certain carcan, qui va le plus en souffrir, comme le montre le personnage de Janice.
C’est cette société classique et traditionnelle que Loach remet en question dans son film, à travers ce personnage qui se perd, dont l’identité s’efface, face à l’autorité parentale, la répression de l’expression libre, l’incapacité de s’exprimer hors de la « norme » imposée par la tradition, les croyances, les règles sociales. Les parents ne cherchent pas à aider leur enfant, ni à la comprendre mais à lui imposer un mode de vie et de penser dans lequel elle ne peut être elle-même. Il ne peut y avoir de développement personnel dans un système qui ne laisse pas de choix, d’où la schizophrénie du personnage : elle se cherche elle même, mais ne peut se trouver car ses parents lui imposent un modèle, de là naissent deux identités, la personne qu’elle aimerait être, et l’identité imposée par ses parents.
Family Life prend parfois presque des allures de documentaire tant le réalisateur s’est renseigné (un psychiatre à également participé au scénario) et tant les acteurs sont criant de vérité. Sandy Ratcliff est impressionnante, elle arrive a donner le sentiment que son personnage se déconnecte de plus en plus de la réalité, pourtant elle reste touchante sans pour autant tomber dans le pathétique. Elle fait de Janice le personnage d’une enfant prise dans un engrenage, un système qui la dépasse et qui va finir par la broyer. La scène finale est marquante, Janice est tellement dépossédée d’elle-même qu’elle devient un exemple de cours de psychiatrie, montrée aux étudiants.
Ken Loach ne film pas de manière subjective, en imposant son jugement notamment au travers d’un personnage, au contraire, les images et les discours parlent d’eux même. La mère, très bien interprétée n’est autre que l’archétype de la mère dévouée, la « brave femme », qui veut le meilleur pour ses enfants mais qui au final les emprisonne, les étouffe et les empêche de développer leur propre personnalité. De même, les médecins, les infirmiers, la police, tous agissent pour ce qui leur semble être le « bien de Janice », sans remettre en question ce « bien ». Et si ces personnages ne le remettent pas en question, c’est que c’est le spectateur qui s’en charge. Perturbant et perturbateur, Family Life est le témoin d’une époque où la jeunesse est livrée à elle-même, son avenir entre ses mains, les bouleversements au pas de la porte.