RÉALISÉ PAR FRANCK PERRY, AVEC BURT LANCASTER…

 

 

The Swimmer

 

 

Après plusieurs années d’absence, Ned Merryl réapparaît en maillot de bain chez des amis et décide de se baigner dans leur piscine. Après quelques bavardages, il décide de rentrer chez lui en allant de piscines en piscines, traversant ainsi les propriétés de ses voisins sur son chemin. D’une villa à l’autre, il rencontre d’anciens voisins et amis et se dévoile petit à petit.

Dans ce film à l’histoire plutôt simple, Franck Perry aborde plusieurs thèmes. Figure d’Apollon, Ned Merryl se révèle en fait être un homme qui a tout perdu et qui tente de sauver les apparences. Dans la première scène il surgit des bois, en maillot de bain laissant voir sa carrure encore athlétique malgré son âge. Souriant, bronzé, en forme, il incarne le héros type, l’homme américain qui a tout réussi. Plus tard son ancienne baby-sitter lui avouera même qu’il « était un Dieu » pour elle, renforçant l’image de l’Apollon, beau, riche, fort et convoité.
Mais cette perfection n’est qu’une façade, le mythe se brise peu à peu laissant apparaître les faiblesses de Ned. Des faiblesses physiques (il se blesse, boite, se fatigue, a froid…), morales (on apprend qu’il a eu une maîtresse, il séduit la jeune baby-sitter qui doit avoir l’âge de ses filles) et sociales (Ned a tout perdu, travail, famille, fortune).

Burt Lancaster incarne très bien le rôle et en jouant ce personnage et prend ses anciens rôles à contre pied. Cet acteur qui a plus pour habitude d’incarner le héros américain type, joue ici un anti-héros, un homme en échec total. La scène de la course dans l’enclos avec July, la baby-sitter, apparaît également comme une parodie d’Hollywood, où Ned incarne toute la réussite et peut se comparer au bel étalon. Franck Perry casse ce mythe de héros et fait de son personnage un « looser ». On peut noter que ce film, réalisé en 1968, sort aux début du Nouvel Hollywood, un mouvement qui prend à contre courant les thèmes Hollywoodiens habituels (héros, perfection, réussite familiale et professionnelle…)

Outre la mise en échec du mythe du héros parfait, Perry élabore également une critique de la bourgeoisie. Dans « The Swimmer », tout n’est qu’étalage de richesses. Le bonheur passe par la possession du plus grand nombre de choses, de la piscine à la tondeuse électrique dernière génération. Les gens se vantent (les Graham se vantent de la pureté de l’eau de leur piscine, due à leur nouveau filtre, de leur nouvelle tondeuse sophistiquée…), se félicitent mutuellement, organisent des fêtes pour célébrer leur nouvel achat. Ici c’est l’étalage qui prime : on découvre la piscine, on sort le champagne, et on sert cocktails sur cocktails.

Mais derrière ces sourires, ces compliments, l’admiration ambiante et ce bonheur de façade se cachent égoïsme et hypocrisie. On se rend compte ça et là que les protagonistes sont seuls (une veille femme a perdu son fils, Mme Grahams a le regard plutôt mélancolique quand Ned prétend l’avoir aimé dans sa jeunesse tandis qu’elle prétend vivre un mariage heureux, la maitresse de Ned a été abandonnée…)
Le thème de l’argent est récurrent, à travers des objets (piscine, tondeuse, bijoux…), mais également lorsqu’il s’agit de Ned. Les Holloran ne veulent pas lui prêter d’argent.Plus tard, il ne peut pas payer la limonade du petit garçon ni l’entrée de la piscine municipale (dans les deux cas il se fait avancer l’argent). Enfin à la piscine, des gens lui réclament de l’argent.

Il y a donc une réelle critique sociale, du monde bourgeois qui fonctionne avec l’étalage des richesses, l’ascension sociale passe par l’acquisition de biens matériels, et la chute est encore plus rude quand il y a échec, car elle passe par la reprise de ces biens (comme dans la scène du chariot de hotdog). Franck Perry montre ce monde hypocrite et superficiel et en fait la critique.

Enfin le réalisateur aborde un dernier thème, celui du temps, lié a un certain onirisme. Tout au long du film, il est question du temps et de l’emprise qu’il a sur les gens, notamment sur Ned. Les remarques sur son physique (et le fait qu’il n’a pas changé) sont nombreuses au début du film créant ainsi le sentiment que le temps n’a pas d’emprise sur lui. Ned parle de ses souvenirs de colonies de vacances avec son ami, des moments qu’ils ont passés ensemble à nager, et veut recommencer. Son ami lui rappelle alors qu’il n’est plus aussi jeune et frais qu’à l’époque, remarque que Ned ne semble pas prendre en compte. Il entretient l’image de l’homme encore jeune dans son corps et dans sa tête. Cependant on se rend vite compte que cette image ne tient pas. Merryl tente de séduire July qui doit avoir à peu près l’âge de ses filles, mais échoue et s’entend dire qu’il est vieux jeu. Il ne semble même pas avoir conscience de l’âge de ses filles lorsqu’il propose à July des les garder alors qu’elles sont maintenant grandes.

Ned Merryl est un personnage hors du temps, ou du moins qui veut s’en échapper. Son regard trahit son manque d’ancrage avec le monde réel, et le temps qui passe sans qu’il s’en rende (ou qu’il veuille s’en rendre) compte.

La rencontre avec le petit garçon qui vend de la limonade me paraît très intéressante, car ce petit garçon incarne l’opposé de Merryl. Il est honnête, conscient des réalités qui l’entourent (le divorce de ses parents, sa mère qui le laisse seul pour pouvoir aller voir son nouvel amant, sa peur de l’eau, le fait qu’il ne sera jamais un grand sportif…).Non seulement il est conscient de cette réalité mais en plus il l’accepte. La piscine vide est très symbolique car chez les autres elle est pleine et reflète leur réussite (ou du moins tout leur bonheur de façade), alors qu’ici elle est vide, comme si le voile était tombé : c’est la fin du rêve, on accepte les échecs et on vit avec.

De plus, une fois encore Ned apparaît en décalage : il dit au petit garçon de faire semblant de pouvoir nager : « Tu es le capitaine de ton âme », « Au début c’est faux puis cela devient vrai pour toi ». Cette dernière phrase résume bien l’état de Ned, qui n’acceptant pas la vérité, tente de s’en inventer une nouvelle. Mais le petit garçon n’est pas dupe, bien qu’il fasse semblant de nager, il rajoute au moment ou Ned pense qu’il va sauter, qu’il sait très bien qu’il n’y pas d’eau.

Cette idée de « faire semblant », de jouer, est reprise lorsque Ned revoit sa maîtresse et qu’elle lui dit : « Tu as trouvé ta rivale, je jouais la comédie ». Le personnage idyllique que s’est créé Ned s’effondre. Il termine seul, dans une scène finale pathétique, recroquevillé sur le pas de la porte de son ancienne demeure, sous la pluie et l’orage.

Franck Perry dresse donc un portrait assez sombre du personnage de Merryl, looser, lâche, et du monde dans lequel il évolue.