Certains voient dans les chansons de Sigur Rós la bande-annonce rêvée de leurs lointaines funérailles. D’autres s’endorment tous les soirs au son de leurs douces ballades mélancoliques. Certaines demoiselles dépriment au son des grandes nappes éthérées qui ont fait le succès du groupe. D’autres s’enfoncent béatement dans leur canapé, partant pour un voyage lointain. Quoi qu’il en soit, la musique de Sigur Rós ne laisse que rarement indifférent.
Musique mélancolique ? Certainement. Musique planante ? Bien sûr. Mais musique triste ? Au contraire. Sigur Rós, avec la voix suraiguë de Jónsi Birgisson, ses guitares étranges effleurées par un archet de violoncelle, la lenteur et la douceur des mélodies, crée un univers particulier, hors du temps et hors du monde.

 

 

Style et influences

 

Parler de la musique de Sigur Rós force le rédacteur à accomplir quelques prouesses linguistiques. Un groupe islandais, qui chante majoritairement en Islandais et dans une langue inventée le reste du temps, et dont les albums portent des titres qu’on ose à peine prononcer, voilà qui demande de s’armer de courage… De même, les classer dans un genre musical relève du défi. On pourrait évidemment les rapprocher de formations post-rock comme Mogwai ou Godspeed ! You Black Emperor, mais leur style reste reconnaissable entre mille.

Proche de Radiohead ? Les deux groupes collaborent régulièrement, la ressemblance vocale est réelle par moments et Jónsi, aveugle de naissance de l’œil droit, a ce même œil mi-clos qu’arbore Thom Yorke, paralysé lui de la paupière gauche. Mais tout cela semble bien peu convaincant. Laissons donc tomber les comparaisons infructueuses et commençons par un peu d’histoire.

 

 

Quelques repères chronologiques

 

C’est en 1994 que Jón Þór Birgisson (Jónsi) au chant et à la guitare, Georg Hólm (Goggi) à la basse et Ágúst Ævar Gunnarsson à la batterie se réunissent pour former ce qui deviendra Sigur Rós. Le nom du groupe vient du prénom de la petite sœur de Jónsi, Sigurrós en un mot, que l’on pourrait traduire par « Rose de la victoire », née quelques jours auparavant. Leur premier album, Von (Espoir) sort en 1997 sur le label islandais Bad Taste, suivi d’un album de remix, Von brigði (Modification d’espoir, mais également si écrit en un mot, Désespoir).

Mais ce n’est qu’avec l’album suivant, Ágætis Byrjun, en français « un bon début », en 1999, que le groupe trouve le succès. À cette occasion, le groupe s’adjoint les services d’un pianiste, Kjartan Svensson. Peu après l’enregistrement, Ágúst pose ses baguettes et retourne à ses études. Il est depuis remplacé par Orri Páll Dýrason.

La popularité du groupe augmente alors, grâce entre autres à Thom Yorke, tombé sous le charme du groupe, qui assure la première partie de la tournée de Kid A. Thom Yorke, se sentant inférieur aux Islandais aurait, selon la rumeur, abandonné plusieurs morceaux en cours de composition qu’il jugeait très inférieurs à ce qu’il avait découvert en écoutant Sigur Rós. Le succès du groupe augmente encore grâce à la présence en 2001 de trois titres dans la bande originale du film Vanilla Sky, de Cameron Crowe.

En 2002 sort l’album (). Le groupe participe par la suite en collaboration avec Radiohead à un spectacle du grand chorégraphe américain Merce Cunningham. Depuis, plusieurs tournées, divers projets, un album en 2005, Takk… puis la sortie en 2007 d’un DVD, Heima, accompagné d’un double EP, Hvarf-Heim, le premier étant électrique et l’autre acoustique. Sigur Rós revient actuellement sur le devant de la scène avec la sortie toute récente de son cinquième album studio : Með Suð I Eyrum Við Spilum Endalaust (Avec un bourdonnement dans nos oreilles, nous jouons inlassablement).

C’est aux cinq albums studio que nous nous intéresserons ici, bien que le disque de remix ou le dvd méritent également une oreille attentive. On ne saurait trop conseiller également de regarder les clips de certains morceaux, toujours dans une ambiance étrange, poétique et mettant en scène des personnages simples, souvent des enfants ou des personnages proches de l’enfance, avec une poésie touchante, comme dans Hoppipolla, Vaka ou Glósóli par exemple.

 

 

Sigur Ros Von

 

–  1997 : Von

Le Sigur Rós des débuts est expérimental au possible. Le premier morceau, qui porte justement le nom du groupe, est une longue suite de bruits sombres et effrayants, cris, coups de tonnerre, grincements, chœurs sortis des enfers, sons stridents rappelant des hurlements monstrueux, on est bien loin de l’ambiance douce et délicate des albums à venir. Suit Dögun, ou intervient pour la première fois la voix de fausset de Jónsi Birgisson, dans une étrange ambiance d’orchestre en train de s’accorder et de synthétiseurs froids.
Avec la troisième piste, Hún Jörð, sa batterie lourde, ses gros riffs de guitare, on est carrément dans un morceau de shoegazing. La suite de l’album reste très expérimentale, oscillant entre les envolées bruitistes, le rock énervé à la Jesus and Mary Chain, le shoegazing pur à la My Bloody Valentine et des moments très pesants mais planants pouvant rappeler des artistes comme Dead Can Dance. Un mélange de styles donc, déjà fort abouti mais encore loin de ce que sera le groupe par la suite.

 

 

Sigur Ros Agaetis Byrjun

 

–  1999 : Ágætis Byrjun

Premier réel album de Sigur Rós dans le style musical qui a fait son succès, il s’agit effectivement comme signifie le titre d’un bon début. D’un excellent début, même. Sous sa pochette étrange montrant un fœtus de créature non identifiée en pleine prière se cache un de leurs meilleurs albums à ce jour. Après une introduction qui n’est autre que la chanson titre jouée à l’envers, démarre Svefn-G-Englar et son ambiance de voyage aérien sur fond de ciel bleu immaculé, accompagné de bips qui font penser à ceux d’un appareillage d’hôpital. Jónsi s’en donne à cœur joie avec son archet de violoncelle et la chanson emporte véritablement l’auditeur.
Staralfur et ses violons palindromiques pose définitivement l’ambiance de cet album. On voyage entre diverses influences, envolées post-rock, instants complètement rock, néo-classique, le tout dans une série de morceaux flirtant avec les 10 minutes en ayant toujours quelque chose de nouveau à raconter jusque dans les dernières secondes.
On conseillera entre autres l’excellent Hjartað Hamast, aux accents presque country par instants, Ný Batterí ou encore Olsen Olsen, chanté en Vonlanska, la langue fictive inventée par Jónsi, aux sonorités proches de l’Islandais, avant le final néo-classique et instrumental, Avalon, pesant et prenant à la fois.

 

 

Sigur Ros album ()

 

–  2002 : ()

Un album des plus étranges ! Un titre absolument impossible à prononcer, aucun texte sur la pochette aussi bien que dans le livret, et aucun titre de chansons, du moins officiellement, le groupe ayant par la suite dévoilé les titres officieux des huit morceaux qui le composent. Enregistré dans le studio personnel du groupe, installé dans une piscine désaffectée, cet album est entièrement en vonlanska, pour que chacun donne aux paroles sa propre signification. Bref, à priori, tout est réuni pour en faire un disque parfaitement opaque.
Et pourtant on se laisse prendre rapidement. Les quatre premiers morceaux sont voulus plus optimistes, les quatre derniers plus sombres et mélancoliques, les deux moitiés étant séparées par 36 secondes de blanc. Pourtant cet album est plutôt homogène, laissant une large place à de grands passages instrumentaux, épurés et lents, entrecoupés par la voix de Jónsi. Un superbe album contemplatif, plus pop que le précédent, qui recèle d’excellents morceaux et laisse la part belle à l’émotion pure.

 

 

Sigur Ros Takk

 

–  2005 : Takk…

En islandais, cela veut dire « Merci… » Et c’est ce qu’on a envie de leur dire après écoute de ce quatrième album. Le plus accessible probablement, du moins musicalement, l’Islandais étant aussi peu compréhensible pour 99,99% de la population mondiale que le vonlanska, le plus pop sans doute, mais dans le bon sens du terme. Une fois encore enregistré au fond de leur ancienne piscine, Takk… est un album qui distille un post-rock cotonneux, très doux, avec un je-ne-sais-quoi de retour en enfance qui donnerait presque envie de se blottir dans un sein maternel (Sé lest, Glósóli ou le magnifique Hoppipolla). Une certaine naïveté qui donne à l’ensemble une poésie rare qui prend réellement aux tripes.
À noter encore Saeglopur, longue envolée lyrique virant à la muraille de sons avant de redescendre en douceur. Au total, un mélange de post-rock, de ballades enfantines, d’electronica parfaitement maîtrisée pour un album émotionnellement très fort.

 

 

Sigur Ros Med Sud I Eyrum Vid Spilum Endalaust

 

–  2008 : Með Suð I Eyrum Við Spilum Endalaust

Difficile de coller davantage à l’actualité puisque à l’instant de publication de cet article, l’album est sorti depuis deux jours, n’ayant permis à l’auteur de ces lignes que quelques écoutes brèves de l’objet. L’album démarre sur Gobbledigook, morceau énervé au gros motif de batterie et premier single de cette nouvelle production. Le groupe aurait-il décidé de s’énerver davantage sur cet album ? Rarement jusque-là on avait eu envie de battre du pied en écoutant du Sigur Rós. Pourtant, le mélange de voix et les harmonies ne laissent aucun doute. C’est bien du Sigur Rós, de très bonne facture de surcroît.
Un album qui ne surprend pas réellement, puisqu’on retrouve tout ce qui a façonné l’image du groupe, mais avec davantage de batterie et un son un peu plus épuré. On y retrouve cependant les traditionnelles ballades fortes en émotion (les très belles Góðan daginn ou Fljotavik) aux cotés de titres plus énergiques et rafraîchissants (Við spilum endalaust). Un ensemble homogène… Toutefois certaines chansons rappellent furieusement l’ambiance des albums précédents, laissant craindre que le groupe ne finisse par légèrement se répéter. Il y a cependant sur cet album suffisamment de chansons plaisantes et remarquables pour effacer ces craintes.

 

–  Amateurs de chansons à texte, vous l’aurez compris, il est temps de passer votre chemin ! Mais l’intérêt majeur de la musique de Sigur Rós est justement de permettre, par l’extrême potentiel poétique, visuel et onirique des mélodies, de mettre ses propres histoires sur les morceaux. Il est temps de fermer les yeux et de se laisser emporter… Mais gardez les quand même ouverts jusque dans les rayons de votre disquaire pour localiser ces petits moments d’émotion pure… Ou à la rigueur pour traverser la route.

 

(Article écrit par Boutros Boutros Gunther)