Primus est un trio musical (metal surréaliste, rock psychédélique et funk expérimental) de talent dont la musique laisse une grande place à l’exceptionnel jeu de basse de Les Claypool.
Fondé en 1986 par Todd Huth, Jay Lane et Les Claypool, le groupe se fait rapidement un nom sur la scène locale, tant grâce aux talents musicaux de ses membres qu’à son jeu de scène spécial en totale adéquation avec le monde surréaliste déphasé des morceaux. En 1988, Todd Huth décide de se concentrer sur sa vie de famille et Jay Lane quitte le groupe pour rejoindre le projet solo de l’ex-guitariste des Gratefull Dead, Ratdog (un projet musical sans prétention fait entre amis). Les Claypool, quant à lui, retourne dans son précédent groupe, Blind Illusion, avec lequel il enregistre un album (« The Sane Asylum ») avant de reformer Primus avec cette fois-ci Larry Lalonde (« meilleur élève » de Joe Satriani selon ce dernier) à la guitare et Tim Alexandre à la batterie. Depuis ce grand retour sur scène, le groupe s’est taillé une sacrée réputation dans le milieu rock, particulièrement comme le groupe le moins avare en slap de l’Histoire du rock. Leurs chansons aux paroles simples, qui traitent de sujets allant du plus loufoque jusqu’au plus sérieux et engagé, ainsi que leurs prestations scéniques et leurs clips délirants, leur ont conféré le titre de groupe le plus humoristique de Californie.
– 1989 : Suck On This
Ce premier album du groupe est un live qui reprend leurs morceaux les plus populaires du moment, avec notamment ceux qui feront leur renommée (« John the Fisherman », « Tommy The Cat », « Harold of the rocks », etc.). Ce disque constitue l’apogée d’une série de concerts dans leur région natale (la région de San Francisco, en Californie) et annonce d’emblée le style du groupe, qui se veut surréaliste et humoristique.
Si le son laisse parfois à désirer, la qualité musicale est quant à elle certaine et ce premier album assure au groupe une notoriété grandissante dans leur région, notoriété qui leur permet de signer un an plus tard leur second album.
– 1990 : Frizzle Fry
Cet album semble être la version « studio » de « Suck On This », et le groupe le considère comme son premier véritable album. On y retrouve les titres phares du live, ainsi que d’autres morceaux qui deviendront célèbres (notamment « Too Many Puppies », une chanson antimilitariste). Toutefois, toutes les chansons du premier disque n’y figurent pas.
En tous les cas, avec ce premier album studio, Primus continue à pleine lancée dans la brèche surréaliste qu’ils ont ouverte et partent sur un rock déjanté aux paroles délirantes. De beaux succès en perspective.
– 1991 : Sailing the Seas of Cheese
Le second album studio du groupe reprend les titres de « Suck On This » qui n’étaient pas présents sur « Frizzle Fry » (notamment une version de « Tommy the Cat » avec Tom Waits), mais c’est aussi et surtout une innovation musicale d’importance : les morceaux sont plus funky, la basse joue un rôle prépondérant et les morceaux s’enchaînent avec une belle continuité. C’est, de plus, le disque sur lequel la passion de Primus pour le fromage ( !) débute.
Comme dans « Frizzle Fry », les paroles sont délirantes, mais on note également une volonté d’unifier leur musique, notamment avec « Fish On », qui se veut la suite de « John The Fisherman ». Le disque aborde des sujets aussi disparates que la pauvreté aux Etats-Unis, le militarisme ambiant, l’usage de la drogue dans les milieux ouvriers, la pêche (une grande passion de Les Claypool) ou encore les chats et les dessins animés ! C’est également leur album le plus colérique, qui dénonce, au travers de chansons au tempo rapide, l’administration Bush (le premier) qui a engagé l’Amérique dans la Guerre du Golfe.
– 1992 : Miscelaneous Debris
« Miscelaneous Debris » n’est pas à proprement parler un album. Il s’agit en vérité d’un E.P, d’un disque de reprises des principales influences de Primus. Ce disque de cinq titres prouve que le groupe sait faire d’excellentes reprises, avec une « sauce » très particulière. Toutes les reprises sont aussi bonnes les unes que les autres, chacune portant de manière très subtile la « patte » Primus, ce qui explique que l’on mette ce disque parmi les albums du groupe et non pas dans une quelconque catégorie à part, du reste de leur œuvre.
Débutant sur « Intruder » de Peter Gabriel, morceau déjà très particulier à l’origine, le disque annonce dès son premier titre le ton de l’album. Loin des débordements scéniques du groupe qui affectionne la mise en scène et les performances musicales, « Miscelaneous Debris » se veut dans le respect de l’ambiance originelle : ce n’est pas pour rien qu’ils ont choisi ces morceaux ! On débarque ensuite sur une fine reprise de XTC : « Making Plans for Nigel » qui nous emmène (le terme est bien choisi : on est promené sur ce morceau comme sur une agréable route) au splendide « Sinister Exaggerator », reprise des mythiques Sinisters. Ce n’était pas chose facile que de rester dans l’esprit de ce groupe fantasque arborant des globes oculaires tout en imposant son originalité musicale, mais Primus l’a fait. On enchaîne ensuite sur un « Tippi Toes » des Metters aux allures plus funky pour finalement parvenir à un doux « Have a Cigar », psychédélique reprise des Pink Floyd.
Bref, un bijou musical, un disque de reprises telles qu’on ne les fait plus !
– 1993 : Pork Soda
Avec cet album au graphisme soigné, Primus s’attaque à un autre aspect, plus sombre, de l’univers musical. Pari gagné, donc, puisque ce disque est consacré par une 7ème place du Billboard américain. L’album offre un contraste saisissant avec « Sailing the Seas of Cheese », offrant un jeu de basse plus redondant, plus explosif, plus contenu malgré tout. On découvre un Les Claypool jouant de la contrebasse (« Mr. Krinkle »), des paroles qui parlent de la mort avec un regard tout à fait perturbant (« My Name Is Mud », « Bob »,…) , une violente critique de la société de consommation (« Welcome To This World », « Pork Soda »,…) ainsi que… le troisième et dernier volet de la trilogie piscicole de Claypool : « The Ol’ Diamonback Sturgeon », un chapitre plus sombre que les deux précédents, donc.
En fait, le disque semble être partagé en deux parties articulées autour de « Wounded Knee », un morceau totalement instrumental qui rappelle assez la musique aborigène. La première partie parle surtout de la mort et dresse des tableaux peu glorieux de personnages imaginaires et caricaturaux. La deuxième consiste essentiellement en une critique pleine de colère contenue. Un album très subtil, donc.
Mais l’aventure ne pouvait pas continuer éternellement et cet album constitue pour chacun des membres du groupe l’apogée musicale après laquelle ils veulent stopper l’expérience. Chacun est avide de nouvelles expériences, et c’est Les Claypool qui va lancer le top départ en formant Sausage avec les deux autres de la formation initiale de Primus : Todd Huth et Jay Lane.
– 1994 : Riddles Are About Tonight
Cet album n’est donc pas à proprement parler un album de Primus, qui n’est pas dissous officiellement (d’ailleurs, Claypool, Alexander et Lalonde continuent de travailler ensemble épisodiquement, chacun travaillant de son côté sur un projet musical avec d’autres musiciens), mais il est néanmoins dans la filiation directe de Primus, avec un côté encore plus expérimental. Le trio de Sausage étant féru de jazz, ce disque en porte une influence très marquée. Cette production est très clairement inspirée de Primus lui-même, et on peine vraiment à ne pas lui attribuer cet album dont les titres furent repris dans les tournées suivantes.
L’expérimentation musicale est poussée à son maximum, avec un jeu de batterie jazzy qui s’insinue dans chaque recoin, une basse excellente mais plus reposée qu’à l’ordinaire, s’attachant à s’accorder parfaitement dans les morceaux plutôt qu’à les guider, une guitare rock experte, sans démonstrations abusives. Ce disque est clairement l’un des plus calmes du groupe (« Sausage alias Primus ») et il semble être fait pour accompagner une tranquille soirée d’été. Ce disque effectué par les bons soins de la formation originelle de Primus aura une influence certaine sur les trois trublions, comme le montre l’opus suivant et leur passage au 25ème anniversaire du festival de Woodstock la même année.
– 1995 : Tales From the Punchbowl
Ce disque garantie au groupe une plus large audience (notamment grâce à la chanson « Wynona’s Big Brown Beaver » et du clip qui l’accompagne qui ont engendré une polémique autour de l’actrice Wynona Rider), mais bien des fans sont déçus, malgré une sorte de retour aux sources du groupe. La basse et la guitare ont retrouvé leurs jeux initiaux, la batterie persévère dans une optique plus technique, moins déjantée que le reste. L’album dans son ensemble semble être motivé par la nostalgie des débuts, le groupe étant passé entre-temps d’amateurs disjonctés à maîtres du surréalisme musical. En vérité, il semble trop et trop peu actif à la fois. Les chansons ont toujours l’air d’hésiter entre une atmosphère funky à la « Sailing the Seas of Cheese » et une mélancolie sombre et explosive à la « Pork Soda ».
Du côté des paroles, elles sont devenues plus personnelles, et l’album paraît être un exutoire pour Les Claypool qui conte dedans son enfance et son adolescence. On dirait plus un groupe essayant de faire du Sausage imitant Primus que du Primus à proprement parler, même si la maîtrise instrumentale est toujours là.
On le sentait sur « Tales From the Punchbowl », le groupe semble être en phase de changement. Claypool et Lalonde semblent vouloir revenir aux sources, tandis qu’Alexander veut jouer dans un registre plus technique et moins déjanté. Ce conflit musical entraîne le départ du batteur qui va entrer dans divers projets musicaux. Ce départ met Claypool et Lalonde dans l’obligation de rechercher un nouveau batteur. Claypool cherche dans son carnet d’adresses et déniche Brian Mantia, un batteur qui s’était déjà présenté en 1988 mais avait été refusé à l’époque. Son jeu correspond tout à fait à la nouvelle direction musicale du groupe, un retour aux délirantes sources musicales, l’expérience en plus. Pendant ce temps, Les Claypool crée un nouveau projet musical, Les Claypool and the Holy Mackerel et sort un album, « Highball with the Devil », qui parle du temps où les maquereaux gouvernaient le monde, avant que le diable arrive, crée les hommes et les laisse à Dieu pendant que lui va faire la chamade sous les eaux. Du pur délire signé Claypool.
Cette détente d’un an permet au nouveau batteur de s’intégrer parfaitement, de jouer une série de concerts aux Etats-Unis, et de repartir en studio enregistrer un nouvel album.
– 1997 : Brown Album
Décidément, le changement de batteur a redonné un souffle nouveau au groupe ! Sur ce bijou qui est un clin d’œil au « Black Album » de Metallica (Claypool est un ami d’enfance de Kirk Hammett) se trouvent quelques-uns des morceaux les meilleurs du groupe. Entre un « Golden Boy » décalé, un jazzy « Over The Falls » où l’on retrouve Claypool à la contrebasse, un sacrément moqueur « Shake Hands With Beef », un « Hats Off » qui mérite effectivement un levé de chapeau, etc., on ne sait plus où donner de la tête. C’est sûr, Claypool et ses copains sont atteints, pour notre plus grand plaisir.
Primus voulait montrer que le délire est aussi possible lorsqu’on dispose de la réputation de l’un des groupes les plus doués du monde ; pari réussi au-delà de toute espérance ! Pour cette expérience psychochimique, Mantia est le batteur idéal, même si l’on regrette quelquefois le touché subtil d’Alexander. Les morceaux sont plus bruts que sur « Pork Soda », plus vrais que sur « Tales From The Punchbow »l, plus maîtrisés que sur « Sailing The Seas Of Cheese ». Les fans apprécient, mais le grand public fuit malheureusement ces hurluberlus qui remplissent des stades partout en Amérique et en Europe.
– 1998 : Rhinoplasty
Un second album de reprises, après un « Miscelaneous Debris » qui avait laissé rêveur plus d’un auditeur ! Le titre de l’album est tiré, paraît-il, d’un épisode de South Park, série américaine don’t Primus a signé le générique. Encore une fois, Peter Gabriel et XTC sont mis à l’honneur par le démentiel trio, et ils sont cette fois-ci accompagnés de Stanley Clarke, The Police, Jerry Reed, Metallica et… Primus ! Et oui, sur ce disque, trois chansons phares du groupe (« Too Many Puppies », « Tommy The Cat » et « Bob’s Party Time Lounge ») sont remaniées à côté de « Scissor Man » de XTC, « The Family and the Fishing Net » de Peter Gabriel, « Silly Putty » de Stanley Clarke, « Amos Noses » de Jerry Reed, « Behind My Camel » de The Police et surtout « The Thing That Should Not Be », de Metallica.
Les reprises sont une fois encore déjantées, mais les retouches sont bien plus importantes ! On peut regretter sur le morceau de Peter Gabriel le doigté délicat de Tim Alexander, mais la performance sur Metallica éclipse totalement ces regrets à peine esquissés. La palme revient néanmoins à la reprise de « Too Many Puppies », assez surprenante au premier abord. Les deux morceaux finaux, « Tommy The Cat » et « Bob’s Time Lounge » livrés en live semblent avoir été reprisés à dose de cocaïne, métamphétamines, LSD et autres… stupéfiants (le terme est bien choisi). Encore une fois, ce disque qui reprend les plus grands est à classer parmi les véritables albums de Primus.
– 1999 : Antipop
Antipop est un bon album, mais il semble assez loin de ce qu’a pu produire le groupe par le passé, et même Les Claypool semble l’avoir négligé par rapport à son nouveau projet, avec notamment Ted Hutt, Colonel Les Claypool’s Fearless Flying Frog Brigade (ou The Frog Brigade), qui vient à peine de voir le jour. Pourtant, de nombreuses personnalités de la musique rock et métal participent au disque, parmi lesquelles Tom Morello (Rage Against The Machine), James Hetfield (Metallica) et Tom Waits (avec qui Primus avait déjà collaboré pour « Tommy The Cat »). Les premiers morceaux sont à classer parmi les meilleurs qu’a pu faire Primus, mais passé « Eclectic Electric », on tombe dans des morceaux certes sympas, mais très loin de l’esprit du groupe. Le dernier titre, « Coattails of a Dead Man », sauve heureusement le disque, notamment grâce aux délires de Tom Waits.
Cet album sonne le glas de Primus qui perd une bonne partie de ses fans, convaincus qu’il s’agit là d’une tentative pour s’ouvrir au grand public. « Antipop » reçoit un succès mitigé malgré quelques bons titres (« Natural Joe », « Laquer Head », « The Antipop », « Eclectic Electric », « The Final Voyage of a Liquid Sky » et « Coattails of a Dead Man » notamment). Le groupe enchaîne quelques tournées où il prouve qu’il n’est nullement tombé dans la commercialisation, mais le désir de renouvellement provoque la séparation des musiciens.
Le groupe est officiellement dissous en 2000 et les membres se consacrent à leurs projets chacun de leur côté. La Frog Brigade de Les Claypool sort un album studio et deux lives qui comportent énormément de reprises (notamment de Pink Floyd) et recueille un certain succès. Courant 2003, une rumeur circule selon laquelle Primus préparerait son retour, avec Alexander à la batterie. Comme souvent, cette rumeur se vérifie et peu après sort un E.P de titres inédits sur disques, bientôt suivi d’un DVD reprenant toutes les vidéos de Primus (toutes conçues par Claypool, de même que le graphisme des albums) : « Animals Should Not Try To Act Like People ». Cette sortie (presque) surprise est suivie d’une tournée (le Tour de Fromage) où le groupe fait (re)découvrir ses premières oeuvres : durant les deux premiers mois, « Sailing the Seas of Cheese » est jouée en intégralité à chaque concert ; les deux suivants, c’est le tour de Frizzle Fry, et un DVD sort pour immortaliser ce tour du monde, « Hallucino Genetics Tour ».
Malgré cette tournée et plusieurs séries de concert aux Etats-Unis entre 2004 et 2006, le groupe ne semble guère actif et Les Claypool se consacre à divers projets musicaux (Les Claypool’s Frog Brigade, Colonel Claypool’s Bucket of Bernie Brains avec Buckethead et Brain Mantia et Oysterhead avec d’autres grandes figures du rock) tout en publiant un best of de Primus (« They Can’t All Be Zingers ») ainsi qu’un DVD documentaire sur le Tour de Fromage (« Blame It On The Fish »).
Une nouvelle rumeur prétend qu’un disque est en préparation pour 2007, avec Tim Alexandre à la batterie. A surveiller.
Finalement, Primus est avant tout un groupe fantaisiste et surréaliste, qui allie rock, métal, funk, jazz et autres avec un talent inouï. C’est d’ores et déjà une légende musicale, un trio déjanté qui utilise à outrance et pour le plus grand plaisir de ses fans ses monstrueux talents musicaux. Les thèmes abordés sont aussi éclectiques qu’étonnants, allant de l’antimilitarisme à la dénonciation de la malbouffe en passant par les dégâts de la drogue, l’humour noir, la pèche et la paresse, les animaux, etc.
Un groupe doué et original qui a su se forger un monde à part sur la planète Musique.
(Article écrit par Funram)